C’était en novembre. Je m’en souviens car il avait fallu que j’enfile mon pull en laine sous mon caban, pour aller le commander. Le froid était là, piquant, tandis que je cherchais à traverser rapidement la rue pour m’engouffrer dans le petit magasin chauffé du 50, Champs-Elysées. J’aurais pu le faire en ligne mais cela aurait tué le seul plaisir de nos journées : les sorties dans le monde physique.
Évidemment, mes amis ne comprenaient pas :
Mais pourquoi tu vas te risquer à prendre le métro, s’interrogeait Karine ?
Et les commandes en ligne, tu connais ? raillait Vincent.
Tu es sûr que tu as compris ce qu’était le progrès, ironisait encore Renaud…
J’avais débranché mon Occulus sur ces discussions et pris la poudre d’escampette, profitant seul d’une ballade parisienne quoique un peu trop souterraine à mon goût.
La boutique était étrange. Debout derrière son guichet, une robote me regardait tandis que tous ses organoïdes tentaient un mime d’empathie qui, lorsqu’il était décelé, rompait le charme du pseudo-réel que ses concepteurs voulaient nous faire accepter.
Bonjour, dit sa voix. Je suis ravie de vous rencontrer. Bienvenue chez ATGCx. J’espère que vous trouverez votre bonheur !
Oui, bonjour, dis-je d’un air évasif - C’est fou ce qu’on est obligés de répondre à des machines - Je viens pour un robot.
Ah c’est parfait. Il vous suffit de choisir vos options et de présenter un moyen de paiement. Avez vous une imprimante 3D ready ?
Non je n’avais pas d’imprimante 3D ready. même pas d’imprimante 3D. Et si j’étais venu c’est bien parce que je n’en avais pas. Voila ce que j’aurais du répondre. Mais depuis de nombreuses années, j’avais laissé tombé l’idée de dialoguer avec ces machines qui, sans cesse, sans fatigue, toujours, vous répondaient. Elles étaient fatigantes. Et puis, un jour, une rencontre avec une psychologue avait changé ma vie. « Pourquoi leur répondez-vous », m’avait-elle dit. « Laissez-les parler, ne répondez plus, vous verrez, vous vous libèrerez ! ».
Je dois dire que ce fût le meilleur conseil que j’avais reçu depuis plus de dix ans.
Me dirigeant donc sans ouvrir la bouche vers l’écran des options, je fis défiler les propositions. Il y en avait pour tous les goûts : option ménage, tuteur, éducateur, promeneur de chiens, cuisinier, jardinier, déménageur et même compagne sexuelle. Et chaque option avait un prix bien différent et qui s’était adapté après que la caméra eu reconnu mon visage. Je notais rapidement que le tarif de la compagne sexuelle avait été divisé par deux lors de ma reconnaissance faciale, information que je pris sur moi de ne pas analyser plus, et je sélectionnais seulement : « Compagnie CSP++ ». J’avais vu une vidéo de présentation de cette option qui semblait pouvoir tenir des conversations de haute volée.
L’écran suivant me demanda de nommer mon robot. Comme je comptais bien analyser ce qu’allais changer ce produit dans ma vie, je décidais de l’appeler « Nicomaque », puis je réglais la modique somme de 5.300€ d’un balayage de mon mobile.
La robote, qui avait évidemment suivi toute l’opération, tant visuellement que par son système informatique, m’annonça que mon robot était lancé en impression.
Quelques minutes plus tard, je sortais sur le trottoir des Champs-Élysées, suivi de près par mon nouveau toutou de métal.
Une imprimante 3D ready, une « apps » téléchargée à payer chaque mois….
Finalement, avoir un robot n’était pas si compliqué…
Stéphan Le Doaré
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