"Oh de toute façon, moi, l'informatique, j'y comprends rien !"
Combien de fois avons-nous entendu cette phrase de la bouche de collègues, de dirigeants ou de parents ? Dans le même style, il y a aussi : "moi je n'y comprends rien, mais mon beau-frère est un vrai génie. Il a même construit son ordinateur !"
Je pourrais en citer encore beaucoup...
Cette méconnaissance du domaine informatique, plus que de surprendre, en 2019 commence à inquiéter.
J'ai la chance d'évoluer dans différentes strates de la société. Mon métier m'amène à côtoyer des politiques, des dirigeants de compagnies d'assurances, des structures associatives, des artistes, des mécaniciens, des coiffeurs, des avocats ou encore des chefs d'entreprises reconnus. Je discute aussi bien avec des psychologues décidant du droit de garde de l'enfant balloté entre ses parents divorcés qui s'en déchirent la garde qu'avec un général commandant l'école de l'Air. Du député au commissaire de police en passant par la start-up technologique, de la réunion syndicale au grand rendez-vous patronal, j'identifie deux catégories de populations.
La première catégorie est celle des quadraquinquas (voire plus), bien en place dans leur métier, en mode "ancienne économie". Ces personnes ont des postes de pouvoir ou font simplement le métier qu'ils aiment, qu'ils ont appris vingt ans plus tôt. Le point commun est que leurs actions portent principalement sur l'humain et le deuxième point commun est que leur cursus de formation n'embarque pas du tout de bagage informatique (bien qu'avoir un "Mac" perso est un signe de "cool-attitude"). La deuxième population est beaucoup moins nombreuse, technophile et intéressée par l'innovation, elle se positionne très souvent dans un rôle de soutien, de technicien, de facilitateur et nourrit le sentiment d'être incomprise par une direction trop éloignée de son sujet. Pour faire simple et donner quelques exemples, ce seront le créateur de site web ou le codeur en SSII, la start-up innovante ou le créatif de produits marketing, etc. Généralement, cette population "support" n'est pas aux commandes et sera regardée de haut par la première caste. Ce sont des "techniciens" et il n'est pas très important de savoir ce qu'ils font, du moment que les ressources humaines recrutent bien et que le job est fait correctement.
Alors, certes, il faut de tout pour faire un monde, comme disaient Arnold et Willie, sauf que monsieur Drumond est âgé (l'acteur est même décédé) et que le monde a changé. L'explosion de l'informatique depuis les années 80, l'arrivée d'algorithmes très avancés et la connexion de la planète par le réseau internet change la donne, plaçant la première population dans une position plus compliquée. Prendre des décisions sur des sujets qu'on ne comprend pas ou très peu nécessite d'avoir soit une grande confiance dans son/ses "technicien(s)", soit de se faire avoir par un commercial qui saura mieux que les autres vendre son outil technologique.
Si l'on s'intéresse aux "menaces" identifiées dans le cadre de son activité et qui auront un impact sur notre vie dans les années à venir, l'une de ces menaces a supplanté toutes les autres. Les problématiques sociales, géostratégiques, commerciales, terroristes ou économiques sont aujourd'hui largement dépassées par le risque cyber. En fait, on peut le voir autrement : chacune des menaces citées ci-dessus est en fait renforcée par ce risque cyber.
La menace cyber agit comme un catalyseur, démultipliant le risque social (par les réseaux sociaux, la création de communautés connectées type "gilets jaunes", etc), le risque économique (par l'interconnexion mondiale, la chute des prix, Amazon...), le risque terroriste (par le hacking international, par le recrutement en quelques heures de jihadistes via YouTube, par l'utilisation de réseaux cryptés, par la propagande ou la déstabilisation numérique), etc...
Les cadres et dirigeants de la première catégorie sont encore largement aux commandes, mais je ne peux plus entendre (en 2019) par exemple que le renseignement "est vraiment" une affaire d'hommes (et de femmes). Il me semble qu'on ne peut plus être aussi catégorique. Je n'arrive plus a entendre des décideurs politiques prendre des décisions contraires à l'évolution du monde par le simple fait de leur inculture technologique (WiFi plutôt que 5G dans les voitures autonomes européennes, interdiction de systèmes de vidéosurveillance par souci "éthique" quand tous nos jeunes sont déjà largement "taggués" par les GAFA et autres...).
Il faut simplement comprendre que nous vivons dans un monde qui a désormais une réelle "identité numérique" (identité numérique personnelle, étatique, économique, morale). Cette identité numérique a, quoi que certains en pensent, le même poids que l'identité réelle (voire plus, pour les sociétés qui dominent aujourd'hui les bourses américaines et chinoises). En accordant un peu d'attention à cette idée, il suffit d'adapter les outils et les réponses. Et surtout penser à s'adapter soi-même en acceptant l'idée qu'il y a aujourd'hui dans tous les métiers un double numérique, exigeant partout de réinventer son travail. Nous-mêmes, nous sommes devenus doubles.
Stéphan Le Doaré
@stephanledoare
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