J’ai déjà écris sur le sujet. Pourtant, plus j’en parle autour de moi et plus ces technologies me posent problème.
Nous avons vécu la révolution de la VHS, qui permettait d’enregistrer son programme favori pour le visionner plus tard. Puis le DVD, avec l’interminable choix de jaquettes d’abord dans les bacs, les magasins de location puis avec les distributeurs automatiques de films. Et voici l’avènement de la VOD, son contenu préféré, en tout lieu, en toute heure et surtout, en tout support. Du téléphone à l’écran géant en passant par la TV ou l’ordinateur, nos contenus stockés dans le cloud sont là pour nous, toujours, partout.
La télévision est l’opium du peuple mais les contenus en sont les substances actives, addictives, embarquées et travaillées pour faire monter nos taux de dopamine, endorphine et autres hormones du plaisir, de la peur ou de la frustration. Plaisir des yeux, peur de l’action, émerveillement des images, effet stroboscopique et fin d’épisode laissant pantelant, nous forcent à cliquer sur « épisode suivant », encore et toujours, repoussant l'heure, dévoiement des limites, fin des interdits. Un temps si cher à Jules Renard, qui passe sans pouvoir être rattrapé, les yeux rivés à ces histoires toutes construites sur le même moule, avec le héros, ses amis, les méchants, un cliffangher aux trois quarts de l’histoire et un deuxième juste avant de finir l’épisode. Et le pire, vous savez quoi : ça marche !
Un temps si cher à Jules Renard, qui passe sans pouvoir être rattrapé
Telle est la modernité entreprise par des millions de personnes qui ont pris leur abonnement, matent leur série et en redemandent, tandis qu’ils sont à leur insu étudiés par des groupes internationaux qui récoltent leurs données numériques tels des moissonneurs batteurs de nos âmes à la dérive.
Et puis le matin, voila qu’il faut se lever pour prendre une route, partir au boulot, gagner sa croute, quel que soit notre niveau social, dans les grands intervalles de la répartition des travailleurs.
Imaginez alors que vous oubliez votre téléphone portable. Nu, démuni, sans accès ni à vos contacts, ni à leurs numéros qu’on ne connait plus, ni aux moyens de communications tels qu’internet, whatsapp, sms ou tout autre réseau social. Plus de paiement, plus de plan pour se diriger, et même pire, si les cartes de crédit sont aussi dans sa housse rabattable en simili-cuir à moitié pendante à cause de la mauvaise colle chinoise, plus de moyen de paiement du tout. Une sorte de « bombe électromagnétique » sans la bombe s’abat sur vous, jusqu’à imposer un demi-tour si celui-ci est encore possible.
Imaginez que vous oubliez votre téléphone portable !
Et demain, avec nos occulus sur la tête, le choix sera vite fait. Suite au film visionné dans la soirée, le matin se poursuivra sur la même lancée, avec les news en réalité augmentée, un présentateur TV irréel à moitié fondu dans notre café bien réel. On partira comme autant de skieurs masqués, à l’assaut de la dernière possibilité de gagner un peu de temps, dans un voyage peut-être automatisé, le cerveau branché à notre tétine virtuelle par un nerf optique en surchauffe.
C'est bien là que surviendra le drame, la lutte avec la frustration ultime de cette perte de liberté incomparablement plus douloureuse que le sevrage de l’héroïnomane : il faudra, peut-être, faire tomber l’Occulus. Il faudra, peut-être, redécouvrir l’autre, les yeux dans les yeux, parce qu’on n’aura pas la chance de travailler dans un office qui nous évite ce contact humain, parce que notre patron n’aura pas encore robotisé ses processus et n’aura pas lui même la chance de toucher un revenu universel, car considéré comme inassimilable par une Intelligence Artificielle toujours en expansion.
Les jeunes, forcés d’apprendre, deviendront fous de manque en déposant leurs occulus à l’entrée du collège. Les professeurs débordés ne sauront plus gérer. Les villes entières se renfermeront encore d’un cran dans un autisme total. Pendant ce temps, inlassablement, les moissonneuses feront le tour du Cloud pour aspirer la moindre micro-miette de data qui aura pu être suée par ce peuple lobotomisé.
Oui, les occulus m’inquiètent.
Stéphan Le Doaré
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