D'un point de vue macroscopique, il est trivial de dire que le monde est en tension. Tensions sociales avec des crises en France, en Espagne, en Chine, en Afrique... Tensions écologiques avec une inquiétude grandissante sur l'avenir climatique... Tensions géopolitiques pour l'obtention ou la préservation de territoires riches de matières nécessaires à l'économie, et notamment à l'économie du futur. Tensions économiques enfin, sorte de bataille à coup de taxes que se livrent les puissants états moteurs de cette économie.
Historiquement, le monde a très souvent été bipolaire. Les forces en présence pouvaient être Grecques ou Romaines, nordistes ou sudistes, napoléoniennes ou Prusse, alliés contre les forces de l'axe, bloc soviétique contre monde occidental, et aujourd'hui Chine contre États-Unis. D'un point de vue occidental, nous autres européens avons le sentiment un peu vaniteux d'être placés au centre de la scène, quelque part pris en tenaille entre les deux plus grandes puissances économiques du moment. Une bataille économique se joue effectivement, entre la première puissance économique mondiale, les États-Unis, et son vassal qui a passé la surmultipliée pour le dépasser, la Chine. Et Xi Jinping ne peut pas être plus clair, ce plan de conquête de la première place dans la course économique mondiale est annoncé, planifié, inscrit dans un plan qui ferait rêver tout président de la Ve République française, puisqu'il va se dérouler tel un rouleau compresseur jusqu'en 2049.
En tournant la sphère terrestre d'un demi-tour, on peut aussi considérer que seul l'Océan Pacifique sépare ces deux géants, et que donc l'Europe pourrait ne pas être si bien située géographiquement. Fort heureusement, forts de notre place de premier marché économique mondial, il faut encore faire avec nous. Fort malheureusement, en revanche, étant en ordre dispersée et manquant de coordination, l'Europe n'est pas structurée pour faire face, pour se positionner dans cette lutte économique. S'il fallait prendre une image, dans un combat de trois catcheurs, l'Europe ne saurait coordonner ni ses pieds, ni ses jambes, ni ses bras, ni sa tête. Elle me fait penser au chevalier noir défendant le pont dans le film "Sacré Graal" des Monty Pythons. A chaque passage sur le pont, on lui coupe un membre. Le chevalier se retrouve homme-tronc, continuant de hurler "je suis le chevalier noir, je défends le pont, vous ne passerez pas", gesticulant sur le côté, impuissant et inadapté.
Les géants de la "tech" ont aujourd'hui une puissance économique incroyable, issue de l'exploitation de données citoyennes dans des réseaux sociaux et des plates-formes de vente. Cette puissance déborde sur la sphère sociale, historiquement réservée au monde politique. Celui-ci se retrouve tout doucement dépossédé de son pouvoir et sent un peu tard le vent tourner. Aujourd'hui, la communication d'idées politiques ne saurait faire sans ces nouveaux outils. Leur puissance inquiète tellement qu'il pourrait être question de démanteler ces monstres avant qu'ils ne confisquent complètement le pouvoir au politique.
Cette idée est malheureusement unilatérale et ne peut s'appliquer qu'aux géants américains. Les BATX et consorts chinois sont solidement arrimés au pouvoir en place : par conséquent, un affaiblissement des GAFA américains aurait pour conséquence de laisser place libre à la technologie chinoise et sonnerait la fin de la suprématie américaine.
L'Europe devrait plutôt sortir du rôle de "chevalier noir" en se réorganisant pour devenir une clé de voute supportant les deux arcs-boutants chinois et américains. Il faudrait pour cela commencer par accepter la philosophie du jeu de Go, en se disant qu'on ne peut pas gagner tout le territoire dans une lutte frontale, mais bien qu'il y a une place pour chacun. Cela suppose aussi de revoir le concept de puissance et de comprendre finement les vrais enjeux technologiques de demain. Un nouveau "siècle des Lumières" est à venir, il nous appartient de le construire pour y trouver notre place.
@stephanledoare
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